Le M/Y Jason
Après le désastre par lequel s'était terminé la précédente mission, j'avais décidé de prendre un peu de congés à mes frais, chez moi. Mon épouse, pourtant parfaite femme de marin, sachant faire avec mes absences répétées, commençait à laisser voir sa tristesse.
Et puis je l'avoue, j'étais un peu fatigué de ce milieu nauséabond où du jour au lendemain vous passez du statut d'indispensable capitaine, au produit consommé et inutile dont on se débarrasse sans la moindre vergogne. Marre de m'investir corps et âme dans un projet qui finit par ne pas aboutir, parce qu'il ne fait plus parti des plans d'un broker malhonnête et d'un armateur immature.
Lassé d'être le jouet d'un millionnaire qui compte sur vous pour lui laisser faire tout ce qui lui passe par la tête, même si c'est illégal, immoral ou simplement irréalisable. Dégouté de ne jamais être entendu lorsque que j'essaye de leur faire comprendre que la mer est souvent plus hostile qu'il n'y parait et qu'un yacht est une machine qui peut devenir dangereuse, si elle n'est pas entretenue et utilisé comme il se doit.
Bref, il me sembla que le moment étais venu de rester un peu chez moi, de flâner le matin au lit, de passer un peu de temps dans mon atelier à me consacrer à mon hobby préférer d'aller une fois par mois sur le Circuit du Luc pour y faire rouler ma chère voitures et de consacré tout le reste de mon temps à partager des moments précieux avec celle que j'aime et qui me soutient depuis si longtemps.
Mais dans ce métier la quiétude ne dure jamais longtemps, un mois ne s'était pas encore écoulé que le téléphone sonnait. A l'autre bout du fil une veille connaissance me demanda :
- Tu es libre en ce moment ?
Allez savoir pourquoi, pour la nième fois je répondis : - Oui.
Lorsque je dis la nième fois je pourrais être plus précis ; en faisant le compte, je pris conscience que c'était le trentième poste que je m'apprêtais à prendre… En seulement onze ans !
Dans quel autre métier change-t-on trente fois de compagnie en onze ans ?
Mais cette fois la mission semblait facile, je devais prendre au pied levé le commandement d'un Admiral de trente mètres appartenant à un octogénaire, qui n'invitait à bord que ses amis du même âge que lui. Je traduis ce que cette phrase comporte comme précieuses informations.
Un Admiral est un très beau yacht, parce que construit en aluminium et non en fibre de verre, c'est plus cher mais c'est aussi plus solide, plus fin et ça tien mieux la cote dans le temps. C'est à peu près la même chose que de comparer une voiture en aluminium avec une voiture en tôle.
Trente mètres ; on considère qu'une vedette à moteur est un yacht à partir de 24m, ça devient un yacht de taille moyenne entre 30 et 40m, un maxi yacht de 40 à 60m et un méga yacht au-delà.
Mon brevet de capitaine me permet de commander un yacht jusqu'à 500 tonneaux UMS, une mesure plutôt obscure qui peut se traduire en mètre ; disons jusqu'à 50m selon le type de construction. Et le salaire du capitaine dépend de son brevet, de son expérience, de la taille du Yacht et selon qu'il est privé ou un navire s'adonnant au charter, c'est-à-dire à la location.
Un trente mètre privé, pour moi c'est le bas de l'échelle en salaire, mais le bas de l'échelle permet de vivre confortablement, sachant qu'un navire privé, appartenant à un octogénaire, ça n'a pas de jet sky, une source de problème intarissable, pas de Seabob, un engin sous-marin autre soucis pour l'équipage, pas de ski nautique, de toboggan (200kg, une heure pour la mise en place et deux pour le relever). Et avec des passagers de cet âge, dont la seule occupation est d'aller visiter les monuments et de manger au restaurant, le yacht est tous les soirs au port, donc pas de veille à la timonerie, le capitaine et l'équipage peuvent dormir sur leurs deux oreilles.
En résumé, je signais pour ce qui semblait être un petit travail tranquille pour m'occuper l'été. Le programme de croisière était des plus simples ; départ pour l'Italie, deux jours d'escales à Sans Rémo non loin de la frontière Française, puis départ pour Saint Florent, merveilleux petit port de la côte nord de la Corse et de là nous ferions le tour de l'île en marquant l'étape à chaque port de la face ouest, pour finir à Porto Veccio, sur la côte Est de l'île. En fin une dernière escale à Elbe puis retour à Marina Baie des Anges à Ville Neuve Loubet, notre port d'attache.
La Corse est ma destination préférée en Méditerranée et pourtant j'ai pas mal bourlingué, l'Espagne, les Baléares, la Sardaigne, le Maroc, la Tunisie, l'Italie côte Nord, Sud et Est, la Croatie, le Monténégro, la Grèce, la Turquie, Chypre et l'Egypte.